«Ces pères ne vivent pas, ils survivent» : au Japon, le drame des parents privés de leurs enfants par une loi scandaleuse
2024-11-17
Auteur: Chloé
Imaginez être expulsé immédiatement vers la France ou passer dix ans derrière les barreaux d’une prison japonaise ! C'est la terrible réalité à laquelle fait face le personnage interprété par Romain Duris dans le film Une part manquante de Guillaume Senez. Son « crime » ? Avoir passé quelques heures avec sa fille adolescente, enlevée par son ex-compagne japonaise il y a neuf ans, et qu’il n’a jamais revue depuis. Ce drame est presque devenu banal au Japon où, selon les statistiques officielles, plus de 70 % des divorces aboutissent à une coupure totale des liens entre l'un des parents et ses enfants.
L'ONG Kizuna Child-Parent Reunion estime que cette situation affecte plus de 150 000 enfants chaque année. Étonnamment, la justice japonaise ne reconnaît ni la garde partagée ni le droit de visite. Dans les faits, un parent qui ne reçoit pas la garde de ses enfants se voit souvent privé de tout contact jusqu'à ce que ces derniers atteignent leur majorité. En Japan, enlever ses enfants et les soustraire à l'autre parent n'est ni un délit ni un crime.
Le constat est encore plus alarmant : certains avocats recommandent même l'enlèvement, sachant que les juges attribuent systématiquement la garde à celui des parents qui vit sous le même toit que les enfants au moment du jugement. Ce qui est encore plus choquant, c'est qu'une fois le jugement prononcé, si le parent qui a enlevé l’enfant se remarie, le nom du parent biologique peut disparaître complètement, entraînant une forme de mort parentale légale.
Guillaume Senez, le réalisateur, témoigne : « Lors de la promotion de notre film Nos batailles en 2018, j'ai été sensibilisé à ces cas tragiques par des expatriés. Ces histoires m’ont profondément touché et j'ai décidé de donner une voix à ces parents en détresse. » Ce problème ne concerne pas seulement les étrangers résidant au Japon, mais affecte également de nombreux Japonais.
François Roussel, représentant des Français de l'étranger au Japon, souligne que « la majorité des cas d'enlèvement impliquent des enfants de couples japonais. Ce qui est frappant, c'est que ce sont souvent des hommes expatriés qui rendent leur combat public. » De fait, une forte majorité des enlèvements concernent des pères. En 2022, les chiffres du gouvernement affirment que 86 % des kidnappeurs sont des femmes. Cette situation est fortement influencée par une conception traditionnelle des rôles parentaux au Japon, où l’enfant est souvent considéré comme une extension de la mère, et cela complique encore plus la lutte des pères.
Jessica Finelle, avocate, déclare : « L’enfant est souvent perçu comme un meuble du foyer et non comme un sujet avec ses propres droits. C'est choquant, surtout quand on voit que beaucoup de féministes japonaises s'opposent à la garde partagée. » Dans cette stricte réalité, les hommes japonaises souffrent de l'isolement et de la honte, évitant les combats publics pour la garde de leurs enfants, se laissant souvent inspirer par les luttes des expatriés.
Guillaume Senez a rencontré plusieurs pères français lors de la recherche pour son film, tels qu'Emmanuel de Fournas, Vincent Fichot et Stéphane Lambert, qui tentent désespérément de renouer avec leurs enfants, souvent sans succès. L'avocate Jessica Finelle explique que ces parents n'ont quasiment aucun recours juridique : « Si un parent tente d'approcher son enfant, il s'expose à des poursuites pour enlèvement. » Emmanuel de Fournas a été retenu en garde à vue pendant 23 jours pour avoir voulu voir sa fille.
Leurs combats engendrent des pertes énormes : ils ne perdent pas seulement leurs enfants, mais également leur maison, leur travail, et se voient plonger dans des procédures longues et coûteuses. En dépit de l'absence de droit de visite, ils sont contraints de payer des pensions alimentaires exorbitantes, une situation qui pousse beaucoup à abandonner toute forme de lutte, et certains, comme Arnaud Simon et Christophe Guillermin, finissent tragiquement par se suicider, accablés par le chagrin.
Senez évoque avec émotion : « Ces pères ne vivent pas, ils survivent. Ils se battent pour que leurs enfants comprennent un jour ce qui s'est réellement passé et qu'ils ont fait tout leur possible pour les retrouver. » La situation est difficile à accepter pour nous, Occidentaux, mais au Japon, le bien-être de l’enfant est souvent négligé et la justice demeure indifférente. Jessica Finelle poursuit : « L’enfant est traité comme un objet, un meuble du foyer, qui ne peut être partagé entre deux maisons. »
Face à la pression internationale, la situation commence à évoluer. En mai dernier, le parlement japonais a voté une modification du Code civil pour introduire la possibilité d’une autorité parentale conjointe lors des divorces. Cependant, cette mesure pourrait s'avérer inefficace, car elle ne prévoit le partage de l'autorité parentale que si les deux parents sont d'accord, ce qui est rare dans les situations d'enlèvement.
Choquant ! Plus de 70 % des Japonais s'opposent encore à cette évolution. En attendant, les associations d'expatriés et les consulats tentent de soutenir les pères en créant des livrets d'information sur les lois japonaises concernant le divorce et en formant des groupes de parole pour rompre l'isolement. Mais tout le monde sait que le chemin sera long et semé d'embûches.
Guillaume Senez s’inquiète déjà : « Je crains qu'il soit difficile de trouver un distributeur au Japon. » Mais Jessica Finelle voit dans la sortie d’Une part manquante une véritable opportunité de sensibiliser les consciences. « Ce film pourrait vraiment éveiller les esprits. Mes clients espèrent le montrer un jour à leurs enfants pour les aider à comprendre leur vécu. » En fin de compte, cette histoire fragile pourrait être le fil d’Ariane pour renouer un lien avec ces enfants qui grandissent sans leurs pères.