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EDF : L'énigme des injonctions publiques et la succession tumultueuse

2025-03-25

Auteur: Michel

L'Électricité de France (EDF) n’a jamais été une entreprise comme les autres. Le 21 mars dernier, le limogeage brutal de son PDG, Luc Rémont, remet sur le tapis la véritable identité de cet emblématique géant public de l’électricité. Est-ce une société orientée vers le profit, cherchant à maximiser ses bénéfices, ou un service public engagé à fournir de l'énergie à des tarifs abordables afin de soutenir la réindustrialisation du pays et garantir sa souveraineté énergétique ? La réponse d’Emmanuel Macron, en remerciant Luc Rémont, illustre cette ambiguïté : un « en même temps » pratique sur le plan politique, mais source de préoccupations dans le monde des affaires.

Le départ de Luc Rémont intervient après plus de deux ans de présidence au cours desquels il a réussi à relever la capacité de production d’électricité d’EDF, gravement affectée par une série de problèmes de corrosion qui avaient mis à l’arrêt près des deux tiers du parc nucléaire en pleine crise énergétique. Grâce à des efforts significatifs, la production a augmenté de 30 %, permettant à la France de redevenir un exportateur net d’électricité.

Ce regain de performance a contribué à stabiliser la dette et à renouer avec les bénéfices. EDF peut désormais se concentrer sur deux enjeux cruciaux : définir le tarif d’électricité et lancer la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires, comme annoncé par l'État en 2022. Bien que ces deux dossiers sont distincts temporellement, ils sont interconnectés, car la capacité d'investissement à long terme d'EDF dépend crucialement des bénéfices à court terme.

Cependant, la question demeure : où placer le curseur entre les besoins financiers d'EDF pour ses investissements et la nécessité de maintenir une énergie abordable pour l'industrie française ? Ce dilemme complexe a généré des tensions croissantes ces derniers mois, exacerbées par la pression incessante pour maintenir une compétitivité industrielle face à la montée des coûts énergétiques en Europe.

Il est exceptionnel que le PDG d’EDF, une entreprise détenue à 100 % par l'État depuis 2023, soit jugé comme devant exclusivement privilégier l'intérêt général au détriment de la santé économique de l'entreprise. En parallèle, des clients dits « électro-intensifs » ont accusé Luc Rémont d'avoir fait « un bras d'honneur à l'industrie française » en proposant une tarification supérieure à celle d’un cadre connu sous le nom d'« accès régulé à l’électricité nucléaire historique » (Arenh). De telles accusations interrogent sur la légitimité de leur plainte, alors qu’ils se montrent si fervents défenseurs de la libre concurrence dans leur propre secteur.

La pression sur EDF pour qu'elle offre des prix bas d'un côté s'intensifie, tandis que l'État demande au groupe de financer la relance du nucléaire français, avec des projets EPR dont le design n’est pas encore complètement établi. La nomination imminente de Bernard Fontana, actuel directeur général de Framatome, pour succéder à Luc Rémont, émane d’une volonté de redynamiser l'entreprise, mais il devra naviguer à travers un paysage d'injonctions contradictoires, sans pouvoir garantir des miracles dans cette période troublée.

Au-delà des enjeux immédiats, la situation d'EDF pose une question plus large : comment une société publique peut-elle concilier l'exigence de rentabilité avec sa mission de service public ? Ce dilemme pourrait bien déterminer le futur énergétique de la France et la position d'EDF sur la scène internationale dans les années à venir.