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Élection présidentielle en Tunisie : La mainmise du président Kaïs Saïed sur le scrutin

2024-10-06

En Tunisie, alors que les 9,7 millions d'électeurs se rendent aux urnes pour la présidentielle prévue le 6 octobre, l'issue de ce scrutin semble déjà scellée. Au pouvoir depuis 2019, Kaïs Saïed a habilement orchestré les conditions pour garantir sa réélection.

Les adversaires potentiels sont quasi inexistants, avec seulement deux candidats autorisés à se présenter, malgré les cris d'alarme de l’opposition. Les chances de ces derniers sont extrêmement faibles, l'un d'eux étant déjà embourbé dans des problèmes judiciaires. La crédibilité du scrutin est également mise en cause, contrôlée par une commission électorale controversée et des juges sous la surveillance du régime. Depuis son coup d’État en juillet 2021, où il a concentré les pouvoirs entre ses mains, Saïed a multiplié les mesures autoritaires.

Lors de l'élection présidentielle précédente, en octobre 2019, 26 candidats avaient été validés. Aujourd'hui, l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) n'a approuvé que trois candidatures, dont celle de Kaïs Saïed. Entre-temps, cette instance, créée après la révolution de 2011 pour garantir la démocratie, est tombée sous le contrôle direct du président. La réforme constitutionnelle d'avril 2022 lui a octroyé le droit exclusif de nommer ses membres.

L’ONG Human Rights Watch dénonce que "toutes les voix dissonantes ont été écartées". Après avoir emprisonné de nombreux opposants, le champ électoral a été réduit à rien de plus qu'une formalité. Seul un candidat, Ayachi Zammel, a été condamné à près de 14 ans de prison pour des accusations de fraude électorale. Quant à l'autre candidat, Zouhair Maghzaoui, il n'est pas perçu comme une réelle menace pour Saïed, ayant été un ancien allié du président.

Les règles électorales ont été modifiées à la dernière minute, transférant le traitement des litiges électoraux à une juridiction moins indépendante. Cela fait craindre aux observateurs une manipulation des résultats, surtout en l'absence d'observateurs internationaux ou locaux crédibles.

La manipulation des institutions judiciaires par Saïed soulève de vives inquiétudes. Les juges, sous pression, voient leur indépendance réduite, avec des conséquences dramatiques sur le traitement des affaires électorales. En effet, des juges, tels que la présidente du tribunal de Manouba, ont été déplacés pour avoir pris des décisions qui contrariaient le pouvoir.

La réforme électorale est perçue par l’opposition comme une tentative désespérée de consolider sa domination en réponse à la faiblesse de son soutien populaire. En septembre, le numéro du magazine "Jeune Afrique" portant sur Saïed a été interdit à la vente, révélant un climat de répression semblable à celui de l'ère Ben Ali.

Pourtant, malgré cette stratégie répressive, l'élection de dimanche pourrait réserver des surprises. Avec une campagne quasi inexistante et une possible désaffection du public, Saïed espère que cette élection sera un plébiscite personnel. Cependant, de nombreux électeurs envisagent de boycotter le scrutin ou de voter pour diminuer son score. Cette ambiguïté laisse planer des doutes sur l'avenir de la Tunisie : après une réélection, quel sera le sort réservé aux opposants dans le contexte d'une crise économique croissante et d'une répression accrue des voix dissidentes?