Divertissement

Kryvorivnia : Un village ukrainien entre mémoire cinématographique et résilience face à la guerre

2024-11-21

Auteur: Léa

Il est 9 heures à Kryvorivnia, un village pittoresque de 1 500 habitants niché dans les Carpates ukrainiennes, à une cinquantaine de kilomètres de la frontière roumaine. Dans la petite église en bois qui surplombe le village, le prêtre Ivan Rybarouk célèbre une liturgie pour prier pour "la liberté et la dignité de [son] peuple". Ce rituel matinal a été instauré il y a plus de mille jours, lorsque la Russie a commencé son invasion le 24 février 2022. Le prêtre énumère les prénoms des habitants de la région tombés au combat : "Youri, Stepan, Iryna, Vassyl, Rouslan, Ganna…" La liste est interminable, et souvent, l’émotion lui serre la gorge.

Mais il y a soixante ans, Kryvorivnia vivait des moments bien plus joyeux. Les femmes aux foulards colorés qui entourent le prêtre se souviennent des nombreuses voitures arrivant en masse en mai 1963, amenant avec elles un homme barbu et énergique : Sergueï Paradjanov. Le tournage des Chevaux de feu, film emblématique qui a révélé le génie du réalisateur, était alors en pleine effervescence. Ce chef-d'œuvre, qui fusionne art et folklore, a reçu de nombreux éloges et a contribué à presser la reconnaissance internationale de Paradjanov.

La première projection française restaurée de ce film aura lieu le 23 novembre au Christine Cinéma Club à Paris, dans le cadre du festival "Un week-end à l’Est", qui se déroule jusqu’au 30 novembre. En 1965, à sa sortie, Les Chevaux de feu récolte une cinquantaine de prix à travers le monde, propulsant le nom de Sergueï Paradjanov au rang d’icône cinématographique. Malheureusement, il ne peut quitter l'URSS pour poursuivre sa carrière, malgré ses invitations aux festivals internationaux. Son humour est intact même en situation précaire : "Donnez-moi plutôt un aller simple", déclare-t-il en plaisantant avec ses admirateurs.

L'histoire d'amour tragique de Roméo et Juliette ukrainiens, se déroule également dans cette région : il y a deux siècles, un rival a poignardé un membre de la famille Paliytchouk, mais au lieu de se venger, leurs enfants, Ivan et Maritchka, se sont aimés. Les vestiges de cette histoire se retrouvent encore aujourd'hui sur les pierres tombales du vieux cimetière du village, où les noms des Gouteniouk et des Paliytchouk continuent d'évoquer ces querelles ancestrales et les répercussions de la violence.

Kryvorivnia est maintenant un lieu où l'art cinématographique et la mémoire collective se mêlent à la résistance face à l'adversité. Chaque matin, la communauté se lève, unie dans sa douleur mais aussi dans son espoir. La beauté des Carpates, les histoires de courage et d'amour, et l'héritage culturel continuent de résonner à travers les années, rappelant à chacun la résilience du peuple ukrainien, même lorsque les temps deviennent sombres. La mémoire des Chevaux de feu rappelle que même au cœur de la guerre, l'art a le pouvoir de rassembler et d'inspirer.