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La crise des producteurs laitiers dans les Vosges : Comment Lactalis les abandonne ?

2024-09-29

Auteur: Pierre

"Ils ne se soucient pas de notre sort" : dans la ferme de la famille Brandazzi, producteurs laitiers depuis quatre générations à Xertigny, dans les Vosges, l'annonce de la cessation probable de la collecte de lait par Lactalis est perçue comme le dernier acte d'une relation commerciale jugée « déséquilibrée » et « fatigante ».

Cette exploitation, nichée dans un écrin de verdure, abrite 90 vaches laitières, essentiellement des Montbéliardes, mais aussi des Brunes des Alpes et quelques Prim'holsteins, qui produisent environ 550 000 litres de lait par an, en mode bio.

Le quotidien d'Aymeric, 28 ans, et de son père Fabrice, 57 ans, est marqué par le bruit des robots de traite et le passage du camion de Lactalis, qui collecte le lait suivant un horaire strict, presque militaire. "Le laiterie ne prend même pas le temps d’un échange rapide. Il a une tournée à suivre, tout doit être optimisé", déplore Aymeric.

Son père, installé depuis 1990, ajoute : "Avant, nous avions un représentant qui venait régulièrement pour discuter de nos besoins. Maintenant, nous ne sommes qu’un numéro. Leur objectif est d’avoir une grande ferme par département, et de diminuer les coûts à tout prix."

Les prix du lait sont aujourd'hui fixés à 515 euros la tonne, alors que Fabrice estime qu'un prix de 615 euros est nécessaire pour couvrir les frais d'exploitation. Pour améliorer leur situation financière, ils tentent de répondre à des normes stringent pour obtenir des primes, mais Fabrice préfère voir un juste prix plutôt que de dépendre de subventions. "Notre voix ne compte plus dans cette relation", avoue-t-il avec amertume.

L’annonce récente de Lactalis de réduire de 8% les volumes collectés en France, dans un contexte de "volatilité des marchés internationaux", a créé une onde de choc parmi les producteurs, bien que cela ne soit pas entièrement une surprise. Aymeric, également représentant des Jeunes agriculteurs, souligne l'inquiétude grandissante : "Pour ceux qui seront laissés pour compte, la situation va devenir intenable."

Effectivement, 151 agriculteurs de la région sont désormais confrontés à l’incertitude quant à l’avenir de leur activité. "Si cela s’avère vrai pour nous, je crains que nous ne puissions pas continuer à produire du lait", confie Aymeric, exprimant son inquiétude et le dilemme de devoir trouver rapidement un nouvel acheteur.

En conséquence immédiate de l’annonce, la famille Brandazzi a suspendu ses projets d'investissements, y compris la construction d'un nouveau hangar, après avoir déjà engagé 1 400 euros dans les études préliminaires.

À côté de cela, la fermeture programmée de l’ancienne usine Lactalis à Xertigny en 2026, qui était encore fonctionnelle en 2012, renforce l'inquiétude locale. Pour sortir de cette dépendance, une dizaine d’éleveurs à La Chapelle-aux-Bois a créé une nouvelle société, "La Vôge Laitière", permettant depuis début septembre de vendre leur production directement, sans intermédiaire.

Vincent Chassard, producteur et directeur général de cette nouvelle entité, se félicite d’avoir retrouvé un pouvoir de négociation. « Nous avons maintenant des discussions avec nos clients tous les trimestres. Cela redonne de la fierté, au lieu de dépendre d'un géant », exprime-t-il avec soulagement. Le prix de son lait est désormais 30 % plus élevé, ce qui lui donne l'espoir d'une vie meilleure, même s'il reste prudent sur ses dépenses.

Avec la fermeture de Lactalis et l'instabilité du marché, le futur des producteurs laitiers dans les Vosges est désormais plus incertain que jamais. Tristesse, colère et espoir se mêlent dans l'esprit de ces agriculteurs, qui luttent pour retrouver leur dignité et leur indépendance. Leur histoire est celle d’un combat acharné face à une industrie laitière qui semble les oublier.