Quelques semaines après le sommet gouvernemental sur l'Intelligence Artificielle (IA), le sujet fait désormais l'objet de nombreuses discussions et analyses. L'ampleur et la rapidité de ce phénomène technologique n'ont jamais été vues dans l'histoire des révolutions technologiques, et il remet en question notre définition même de ce qui constitue l'intelligence humaine.

L'IA, un outil aux capacités prodigieuses, démontre une efficacité redoutable dans de nombreuses tâches quotidiennes. Pourtant, alors que cet outil promet de faciliter notre vie, il suscite également de vives inquiétudes : comment expliquer aux jeunes générations l'importance d'une éducation formelle face à des algorithmes capables de créer et d'apprendre ? Les professions créatives, allant de la traduction à l'éducation, en passant par la médecine, sont-elles réellement à l'abri des impacts de cette technologie? Faut-il encadrer ou même interdire l'IA ?

Au cours d’une émission récente, Alain Finkielkraut a reçu Éric Sadin, philosophe et spécialiste du numérique, ainsi que Raphaël Doan, magistrat et professeur à Sciences Po Paris. Sadin, dans ses ouvrages, a exploré la relation entre l'IA et l'humanisme, tandis que Doan a même utilisé l'IA pour rédiger une uchronie, illustrant ainsi les possibilités créatives offertes par ces nouvelles technologies.

La question centrale posée par Doan est la suivante : Comment et pourquoi cette capacité d'imitation de l'intelligence humaine a-t-elle vu le jour si rapidement ? Il souligne que dès l'invention des ordinateurs, la pensée d'imiter l'intelligence humaine a émergé. Alan Turing, pionnier dans ce domaine, a intégré cette idée dès le départ, en se concentrant sur la capacité des machines à imiter plutôt qu'à penser comme des humains. Cette orientation a guidé toute la recherche ultérieure.

Les applications modernes de l'IA s'appuient sur des réseaux de neurones sophistiqués, particulièrement efficaces dans le traitement et la génération de texte, comme le démontrent les modèles de langage tels que ChatGPT. Ces technologies ne se contentent pas d'imiter : elles prennent aussi en charge des tâches cognitives qui nécessitaient auparavant notre réflexion et créativité.

Éric Sadin aborde ensuite l'évolution de l'IA depuis le milieu des années 2000, soulignant son rôle prédominant dans l'organisation et l'interprétation des données. Pour lui, nous vivons désormais à une époque où des technologies poussent les individus à agir d'une certaine manière plutôt que d'une autre, changeant ainsi notre façon de penser et d'interagir avec le monde.

Depuis le lancement de ChatGPT fin 2022, un tournant intellectuel et créatif s'est opéré. Jamais auparavant des machines n'avaient eu la capacité de produire du texte humain sans intervention humaine. Cela soulève des inquiétudes sur notre avenir en tant que créateurs : serons-nous remplacés par des machines qui généreront du contenu en continu, dévaluant ainsi l'importance de chaque voix humaine ?

Raphaël Doan attire notre attention sur le fait que ces intelligences artificielles fonctionnent comme des "machines à pastiche", créant du contenu basé sur des modèles statistiques plutôt que sur une véritable compréhension ou émotion. Ce phénomène rappelle les idées de Roland Barthes sur la mort de l'auteur, mais dans un contexte où le texte peut être généré sans intervention humaine, mettant en lumière une nouvelle forme de production littéraire.

Alors que nous plongeons dans cette nouvelle ère technologique, il devient crucial de questionner les implications éthiques et sociales de l'intelligence artificielle. Allons-nous permettre à notre société de dériver vers un avenir où la créativité et la pensée humaine sont obscurcies par des algorithmes puissants ? Il est de notre responsabilité collective de trouver un équilibre entre l'innovation et le respect de notre humanité.