TÉMOIGNAGES : "Le smartphone est crucial en prison, sinon la vie serait insupportable" - Plongée dans l'univers des détenus
2024-11-26
Auteur: Pierre
"Imaginez être confiné dans une cellule de huit mètres carrés toute la journée, sans contact avec le monde extérieur," témoigne Mickaël, incarcéré en Île-de-France. Malgré leur interdiction, les téléphones portables sont omniprésents dans les établissements pénitentiaires. En 2023, l'administration pénitentiaire a saisi un impressionnant nombre de 53 000 smartphones, pour une population carcérale de 79 000 détenus.
Mickaël, joignable par téléphone pendant son repas, explique qu'une fois les portes verrouillées à 17 heures, il passe ses soirées au téléphone jusqu'à minuit. "Ça nous permet d'évacuer," affirme-t-il, tout en restant en contact avec sa famille et ses amis, et en regardant des vidéos sur les réseaux sociaux ou des films sur Netflix. "Sans ça, ce serait intenable. Tout le monde en est conscient."
Se procurer un téléphone : un jeu d’enfant
Un autre détenu, Samir, d'un établissement du sud de la France, révèle qu'il possède trois téléphones, utilisant l'un d'eux pour faire du business qu'il qualifie de légal. Pour obtenir un appareil, il évoque la corruption : "Il suffit de graisser la patte des surveillants, qui acceptent de ramener les téléphones contre de l'argent, souvent entre 300 et 400 euros."
Les méthodes d'acquisition des téléphones en prison sont variées : "Il y a les 'projectiles' envoyés depuis l'extérieur avec des colis, dont nous tentons de nous emparer avec des lassos. Ou alors, il y a le parloir, mais c'est risqué, car il faut cacher le téléphone pendant la fouille," explique-t-il. Samir a même une technique pour camoufler son téléphone : "Je le cache sous une serviette devant ma porte, et des fois, plus c’est gros, mieux c’est !"
Un équilibre difficile à maintenir
D'après Samir, la fréquence des fouilles, qui se produisent deux fois tous les trois mois, permet à ceux qui se comportent bien d'éviter des fouilles trop rigoureuses.
Les téléphones portables servent à garder un semblant de contact avec l'extérieur, mais leur présence soulève aussi des inquiétudes. Plusieurs directeurs d'établissements confient que leur circulation aide à maintenir une certaine "paix sociale" en prison. Cependant, l’utilisation de ces appareils est controversée : certaines autorités affirment que cela facilite la communication de groupes criminels organisés.
François Korber de l'association Robin des lois plaide pour une légalisation régulée des portables, pour encadrer leur usage et s'assurer que les cartes SIM soient identifiables. Ce point de vue est néanmoins en désaccord avec les syndicats de gardiens, qui appellent à une tolérance zéro, en particulier après des incidents dramatiques, dont une évasion sanglante.
Vers des mesures plus sévères
Face à ce constat, le gouvernement français prévoit un plan d'urgence pour traiter la situation et lutter contre l'usage illégal des smartphones. Le ministre de la Justice, Didier Migaud, a annoncé des mesures, notamment des dispositifs anti-drones, suite à une série d'intrusions par drone dans plusieurs prisons, qui auraient été utilisées pour livrer des téléphones à des détenus.
Avec 475 attaques de drone enregistrées en 2023, la priorité est de renforcer la sécurité en ajoutant des systèmes anti-drone dans 90 établissements d'ici 2025 et d'installer davantage de brouilleurs. Un changement de stratégie s'annonce donc, avec pour objectif d'endiguer la communication illégale au sein des prisons tout en préservant la sécurité des gardiens et des détenus. Cette volonté de réguler l'accès aux smartphones témoigne de l'importance cruciale de cette technologie, tant pour le lien social que pour la gestion des comportements en milieu pénitentiaire. Les débats autour de ce sujet continuent de diviser l'opinion publique, entre la nécessité d'humaniser le système carcéral et les impératifs de sécurité.