
INTERVIEW. "Adolescence" sur Netflix : "Le masculinisme est une idéologie banale et largement répandue dans toutes les couches sociales", analyse une anthropologue
2025-03-26
Auteur: Julie
Depuis sa sortie le 13 mars dernier sur Netflix, la mini-série britannique "Adolescence" connaît un succès fulgurant, au point que le Premier ministre britannique Keir Starmer, qui l'a regardée avec ses enfants, appelle à sa diffusion dans les écoles du pays. La série soulève un débat sociétal crucial sur l'endoctrinement masculiniste d'un collégien. L'anthropologue Mélanie Gourarier, chercheuse au CNRS et au Centre Norbert Élias, alerte sur la banalité et l'ancienneté de ce phénomène. Auteur de "Alpha Mâle" (Seuil, 2017), elle nous éclaire sur ce sujet complexe.
franceinfo : L'influence des sphères masculinistes sur les adolescents, mise en avant par la série "Adolescence", est-elle répandue en France ?
Mélanie Gourarier : La manière dont on traite le masculinisme, notamment en le présentant comme un "phénomène", est problématique. Cela donne l'impression qu'il représente quelque chose d'exceptionnel et de nouveau. Pourtant, cela fait quinze ans que j'étudie ces questions. À l’époque déjà, le masculinisme était traité comme un phénomène d’une gravité notable. Présenter cela de manière sensationnelle ne rend pas justice à la banalité de cette idéologie, qui est ancrée dans toutes les strates sociales. En nous concentrant sur la jeunesse, comme le fait la série, nous masquons l'ampleur du problème, qui touche aussi des hommes plus âgés en position de pouvoir. Le masculinisme est ainsi omniprésent et il est essentiel de le considérer comme tel.
Que pensez-vous du personnage principal de la série, ce jeune adolescent ?
Mélanie Gourarier : Ce qui m’étonne dans la réception de la série, c’est la surprise qu’elle suscite. Ce n'est pas la première fois que le masculinisme est abordé à travers le regard d'un jeune homme en détresse et influencé par les réseaux sociaux. On retrouve un archétype déjà bien ancré dans la culture populaire : un adolescent blanc issu de la classe moyenne, perçu comme une bombe à retardement. Il évoque des signes de vulnérabilité : il recherche l'approbation de son père, il a peur de ce qui lui arrivera, mais il semble indifférent aux conséquences de ses actes. Une autre dimension à considérer concerne son rapport aux femmes. Bien qu'il soit motivé par ses désirs, ses interactions montrent un désintérêt flagrant pour les vies et les émotions des femmes. La dynamique qu'il entretient dans sa conversation avec la psychologue - oscillant entre charme et agressivité - révèle des facettes d’une masculinité problématique. Ce n'est pas tant ce qu'il dit qui est sexiste, mais plutôt son attitude, qui est profondément imprégnée d'une logique patriarcale.
Comment les parents peuvent-ils aborder ces pratiques des adolescents ?
Mélanie Gourarier : Les parents doivent reconnaître que la problématique du masculinisme n'est pas réservée à la jeunesse, mais bien ancrée dans notre société tout entière. Il est donc crucial de nourrir des dialogues ouverts et honnêtes avec leurs enfants. Créer un espace où les adolescents se sentent en sécurité pour exprimer leurs craintes et leurs réflexions, sans jugement, peut les aider à naviguer dans ces questions complexes et à développer une conscience critique face aux influences négatives. La série "Adolescence" devrait être perçue non seulement comme un divertissement, mais comme une opportunité d'éduquer et de sensibiliser les jeunes et les adultes aux dangers du masculinisme et à l'importance de l'égalité des sexes.