Divertissement

« J’ai dû adoucir la réalité pour rendre “Rabia” supportable », révèle la réalisatrice

2024-11-26

Auteur: Julie

Mareike Engelhardt nous plonge au cœur d'une maison intrigante avec son film "Rabia", présenté à Angoulême avant de triompher à Deauville en remportant le prix d'Ornano-Valenti. Ce film suit une jeune Française de 19 ans, superbement interprétée par Megan Northam, qui s'est engagée volontairement à rejoindre Daesh en tant qu'épouse de combattant. La « maison » ou « madafa » où elle arrive est dirigée par l'impitoyable Madame, incarnée par la glaçante Lubna Azabal, qui prend en main l'entraînement des nouvelles recrues.

Pour l'héroïne et sa complice, un voyage vers l'enfer commence, marqué par l'embrigadement et de nombreuses désillusions. La réalisatrice allemande a accordé une interview à 20 Minutes pour discuter de son approche d'un sujet aussi fascinant qu'angoissant.

Pourquoi avoir centré votre film sur les femmes ?

La violence féminine est souvent sous-estimée, mais il existe des femmes puissantes au sein de nombreux régimes totalitaires, comme les Khmers Rouges. Ces femmes, éduquées et déterminées, sont le reflet de la complexité des dynamiques de pouvoir. Le personnage de Madame illustre parfaitement cela : elle n'est pas une simple exécutante, mais une figure charismatique qui manipule les autres pour asseoir son pouvoir.

À quelle période se déroule l'histoire ?

L'intrigue est située entre 2014 et 2017, au moment de l'apogée du califat et de la chute de l'État islamique. Le film montre ce contraste entre l'illusion euphorique d'un paradis et la désillusion brutale de l'enfer, une métaphore des espoirs et des réalités des jeunes femmes qui s'engagent dans cette voie.

Le film respecte-t-il la réalité ?

En effet, j'ai dû adoucir certaines réalités pour que "Rabia" reste supportable pour les spectateurs, même si ma narration s'appuie sur des faits avérés. Le personnage de Madame s'inspire de Fatiha Mejjati, qui a effectivement dirigé une « madafa » en 2015. Nous avons intégré des éléments authentiques dans le tournage grâce aux témoignages de survivantes, qui ont décrit des expériences souvent bien pires que ce que l'on pourrait imaginer.

Qui étaient ces jeunes filles qui partaient pour la Syrie ?

Ces jeunes femmes venaient d'horizons très variés. Malheureuses et désespérées, elles se laissaient séduire par une promesse illusoire d'évasion. Ce phénomène ne date pas d'hier : des jeunes se sont toujours engagés dans des mouvements extrêmes à cause du sentiment d'appartenance ou de désespoir.

Comment expliquez-vous cette montée de l'engagement ?

Aujourd'hui, les jeunes se sentent souvent déconnectés et impuissants face à des crises sociétales et environnementales. La fracture entre riches et pauvres, le manque de dialogue entre les communautés créent un vide que certains tentent de remplir en adhérant à des idéologies radicales, y compris le djihad.

Pourquoi avez-vous choisi de faire de votre héroïne une personne lesbienne ?

Cela m'a semblé important et intéressant, car cela reflète la diversité des expériences dans ces environnements extrêmes. Les relations entre femmes, souvent marginalisées, révèlent des dynamiques non-hétérosexuelles qui existent même dans ces contextes traumatiques.

L’évolution de sa relation amoureuse est-elle cruciale dans son parcours ?

Absolument. La relation avec sa compagne est l'élément le plus précieux de sa vie. La rupture de ce lien affectif est un tournant décisif qui facilite sa radicalisation en créant un vide émotionnel. Cela illustre comment les sectes exploitent de telles ruptures pour isoler leurs membres.

Quelle a été la réaction du public, notamment des Musulmans ?

J'ai été agréablement surprise par la réaction positive des premiers spectateurs musulmans. Beaucoup ont ressenti que le film ne les représentait pas de manière négative, mais plutôt qu'il abordait des questions universelles. Mon intention n'était pas de stigmatiser l'Islam, mais de traiter des thématiques de radicalisation de manière plus large.

Quel public visez-vous avec ce film ?

J'espère toucher les jeunes, leur faire réfléchir et ouvrir un dialogue intergénérationnel. De nombreux parents qui ont vu le film ont aussi exprimé leur désir de discuter des enjeux soulevés, un dialogue que je souhaite encourager grâce à "Rabia". C'est cette réflexion, cette prise de conscience qui me semblent essentielles.